Nous achevons ici notre trilogie consacrée aux articles du site de Christine BELCIKOWSKI (http://belcikowski.org/ladormeuseblogue/), avec non pas une, mais deux fontaines mirapiciennes ! En effet, les fontaines de Rousset et de la Nation, qui attirent l’œil des promeneurs et vibrent au rythme des cérémonies méritaient, déjà en 2009, un petit rafraîchissement…
Les photos de 2009, que l’on retrouve sur l’article d’origine, ont été prises par Christine BELCIKOWSKI, celles de 2021 par un agent municipal. Les cartes postales viennent du site ARIEGE CPA 2 : https://sites.google.com/site/cpaariege2/home

Sur la petite place du Monument aux Morts, située à la jonction du cours Maréchal de Mirepoix [l’avenue du 8 mai 1945, ndlr] et de l’Allée des Soupirs, les documents conservés aux archives de Mirepoix signalent l’existence de la fontaine de Rousset, puis celle de la fontaine de la Nation, sans préciser jamais la localisation de cette dernière. Fontaine de Rousset ? Fontaine de la Nation ? S’agit-il d’une seule et même fontaine, qui, au cours du temps, aurait changé de nom ? S’agit-il de deux fontaines successivement installées sur une seule et même petite place ? D’où viennent les deux noms consignés tour à tour dans les documents municipaux ? Fontaine de Rousset ? Fontaine de la Nation ?
J’ai rapporté d’une visite sur la petite place les photos reproduites ci-dessous.
(2009) (2009)
Abritée derrière une haie qui délimite un petit jardin public, la fontaine en rocaille se trouve à gauche du Monument aux Morts ; incluse dans la haie d’un jardin privé, l’autre fontaine se trouve derrière le Monument aux Morts.
Des grands-mères bavardaient au soleil sur les bancs du petit jardin public. Je leur ai demandé comment se nomment les deux fontaines. « Celle qui se trouve derrière le Monuments aux Morts, m’ont-elles dit, c’est la fontaine de la Nation », et la fontaine en rocaille, auprès de laquelle elles se tenaient assises, « Dans notre enfance, on l’appelait le Jet d’eau ». Elles ne savaient pas pourquoi l’on parle de « fontaine de la Nation » et elles n’avaient jamais entendu dire qu’il ait eu ici une fontaine « de Rousset ». Ce nom-là, au cours du temps, se serait donc perdu.
Concernant ladite fontaine de Rousset, les archives municipales de Mirepoix conservent les documents suivants :
« 24 février 1790 : il fut arrêté qu’on travaillerait à mettre en bon état la fontaine dite de Rousset qu’elle serait mise dans une batisse en voute à telle grandeur et hauteur convenable ; sur quoÿ le dit Maire observe à l’assemblée qu’il pense de conduire ladite fontaine en traversant le champ de M. Deloun au bord du fossé qui longe la promenade qui vient d’être pratiquée vis à vis et en face de l’allée qui va de la porte d’Abail à la métairie dudit sieur Deloun et conduite audit lieu, là y pratiquer une batisse en voute pour loger ladite fontaine dont l’eau sortirait par un tuÿau ou Robinét qui ÿ serait placé ».
Novembre 1790 : … que le 12 septembre dernier les officiers municipaux membres du bureau furent authorisés à faire conduire les eaux quils se seroient procurés des fontaines de Rousset et Mr Deloun jusqu’au septentrion de la pièce en champ de ce dernier en face de la Promenade qui va droit au moulin d’embas et que l’assemblée setant allors reservé de statuer sur la forme de Batisse quil conviendrait de faire pour loger ladite Eau, cest le Casqu’elle y statue aujourd’huy que l’Eau de la fontaine de Rousset a été conduite par des tuyeaux en traversant la pièce dudit Mr Deloun à l’endroit cydessus dit ». »

Vu les éléments de localisation fournis par ce document, il semble que la fontaine de Rousset se situait jadis dans la campagne, au-delà du champ de M. DELOUN, et que l’eau de cette fontaine a été conduite en 1790 à l’emplacement désigné aujourd’hui comme étant celui de la « fontaine de la Nation ». Sans doute l’appellation « fontaine de Rousset » désignait-elle avant 1790 le site d’une source, dite « font de Rousset », très sommairement aménagé et, comme indiqué ci-dessus, nécessitant d’être « mis en bon état », car dégradé par un long usage. Joseph-Laurent OLIVE relève dans un document municipal du 23 novembre 1830[1] que la fontaine « dite de la Nation », est dans tout Mirepoix « la seule qui fournisse de l’eau de source », et il précise que cette source se situait « à Plenefage », i.e. en plein champs, entre la route de Pamiers et la métairie de M. DELOUN, métairie visible aujourd’hui encore à la jonction de l’Allée des Soupirs et de la place du Monument aux Morts.

Alimentée par l’eau de source conduite depuis le « font de Rousset » à travers le champ de M. DELOUN, la fontaine dite « de la Nation » a été installée, comme l’indiquent les documents, à partir de 1790. Le nom qui sert à la désigner a sans doute été inspiré par les idéaux de la Fédération, célébrés le 14 juillet de la même année.
Le conseil municipal prévoyait, le 24 février 1790, la construction d’une « batisse en voute ». Il semble que par la suite le conseil ait changé d’avis, puisque, à l’emplacement de ladite fontaine, la voûte aujourd’hui ne se trouve pas. La fontaine aurait pu faire l’objet d’une modification ultérieure. Joseph-Laurent OLIVE, dans l’ouvrage cité[2], rapporte cette observation, formulée par le maire de Mirepoix, le 23 novembre 1830 : « la fontaine dite de la Nation a été abandonnée depuis plus de vingt ans, au point qu’elle est inutilisable ». L’abandon de cette fontaine daterait donc des années 1800-1810, i.e. du Consulat et de l’Empire, période marquée à Mirepoix par la construction de la fontaine de Cambacérès.
On sait que la construction de la fontaine de Cambacérès et du système d’adduction d’eau correspondant a été techniquement difficile, longue, ruineuse, et qu’elle a nécessité l’ouverture d’une souscription peu opportune. Une fontaine chassant l’autre, une politique chassant l’autre aussi, on suppose que la construction de la fontaine de Cambacérès a entraîné l’abandon de la fontaine de la Nation. Le fronton de cette dernière mentionne que la restauration envisagée par le maire de Mirepoix le 23 novembre 1830, soit quatre mois après l’avènement de la monarchie de Juillet, a été réalisée avant la fin de la même année. Il ne peut en l’occurrence s’agir d’une restauration ambitieuse, qui aurait modifié la conception générale de l’ouvrage, mais seulement d’une remise en état du système qui assurait depuis les années 1790 l’arrivée d’eau. Il est donc probable que nous voyons aujourd’hui la fontaine de la Nation telle qu’elle était originairement.
(2009) (2021)
L’aspect actuel de la fontaine permet difficilement d’imaginer qu’il ait pu exister ici une « batisse en voute ». Celle-ci n’a probablement jamais été construite. La ville a cruellement manqué d’argent durant les années révolutionnaires, et plus tard encore. Sans doute s’est-elle contentée d’édifier le fronton, sobrement orné de motifs en bas-relief et complété d’une rigole permettant l’écoulement de l’eau. Le choix des motifs emprunte, de façon composite, à l’Antiquité et au Moyen âge. Le motif central, très dégradé, pourrait représenter un arbre de la Liberté. La sculpture de l’ouvrage se trouve parfois attribuée à Théodore Charles GRUYÈRE. Cette attribution demeure toutefois improbable, puisque, né en 1814, Théodore Charles GRUYÈRE ne peut raisonnablement être considéré comme l’auteur d’une œuvre restaurée en 1830.
La fontaine de la Nation aujourd’hui ne coule plus. L’une des arrivées d’eau a été coupée en 1870 lors de l’installation de la ligne du chemin de fer. L’autre l’a été dans les années 1960, lors de l’édification de la maison située derrière la fontaine. L’abandon de cette fontaine semble aujourd’hui définitif. La symbolique de la Nation ne parle plus ici, dirait-on.
Un mot maintenant de la fontaine en rocaille qui se trouve dans un petit jardin public, à gauche du Monument aux Morts. Le traitement de la rocaille indique qu’elle date probablement de la fin du XIXe siècle. Les grands-mères assises sur les bancs disent que dans leur jeunesse on se donnait rendez-vous « au Jet d’eau ». Celui-ci fonctionnait donc encore dans les années 1950-1960. Aujourd’hui hélas, il ne fonctionne plus. Les jets d’eau sont pourtant, dit le philosophe, « comme nos pensées, qui montent et descendent inlassablement ».
Mirepoix – Fontaine de la Nation et Allée des Soupirs
Edit Mlle Angèle TISSEYRE, EpicerieMirepoix – Le Jardin Public
(Photo-Mécanic, Muret.) CARRETIERMirepoix – Le Jardin Public
CASSÉMirepoix – Un Coin du Jardin Public
DOUMENC
Rien ne fonctionne plus sur la petite place. Dommage. C’est triste.
Christine BELCIKOWSKI
[1] Joseph-Laurent OLIVE, Délibérations municipales de 1800 à 1830 à Mirepoix, Ariège, p. 90, Imprimerie du Champ de Mars, Saverdun, 1977
[2] Ibidem