Les lieux-dits de Léoux, Niort et Quarantan

Les noms de lieux invitent à un voyage à travers l’espace, certes, mais aussi à travers les langues, l’histoire et la culture locale. Le patrimoine immatériel des toponymes de la commune de Mirepoix n’y échappe pas. L’épisode de ce mois-ci concerne trois noms de l’Est de la commune, parmi les nombreux lieux-dits ou hameaux que compte le terroir de Mirepoix. Il s’agit de partir à la découverte de Léoux, Niort et Quarantan. Mais avant de plonger dans l’explication de ces noms, évoquons le poids culturel de la langue occitane, celle qui a succédé au latin en tant que première langue de culture européenne moderne avec l’œuvre des trobadors. L’occitan parlé et présent dans les noms de lieux du pays de Mirepoix est une variante du languedocien qui se situe entre ses variantes audoise et fuxéenne.

Sur la commune de Mirepoix, comme les noms de familles, les noms de lieux sont pour la grande majorité des noms occitans ou d’origine occitane, ou bien ont été francisés. Inscrits sur les panneaux ou sur les cartes, le site de l’Institut Géographique National (IGN, geoportail.fr) peut vous permettre de les consulter. Quand deux langues sont présentes sur un territoire et utilisées par une même population, il est fréquent que l’une d’entre elles impose ses codes graphiques à la seconde ou bien que les deux se mêlent. C’est le cas ici avec Léoux, dont l’orthographe est francisée mais le mot ne signifie rien en français. De plus, le mot compte trois voyelles ce qui est très rare en français et très usuel en occitan. À cela il faut ajouter que l’occitan, depuis le Moyen âge, ne s’écrit pas comme le français et le nom du hameau Léoux peut aider à le comprendre. Déjà, comment lisez-vous ce nom ? Mobiliser la prononciation s’avère déterminant. Lisez-vous LéoussLéhou ou bien Léw ? Les règles du français imposent de lire Léoux, Léhou avec un -x final muet et en distinguant deux syllabes Lé-oux. L’occitan, en revanche, se situe à l’opposé : une syllabe et un -s final qui s’entend, car le mot est occitan et son sens va permettre de poursuivre l’enquête. Alors que signifie-t-il ?

Présent dans les archives, carte de Cassini du XVIIe siècle, plan cadastral de 1766 ou de 1841-1842, la personne lectrice y peut lire écrit LéouxLeuxLéous ou Leou au gré du scribe et des règles qu’il a jugé bon de retenir, phonétique française, occitane ou encore telle ou telle graphie. Qu’en retenir ? Les dictionnaires d’occitan nous y aident. Le Tresor dòu felibrige de Frédéric MISTRAL (prix Nobel de littérature en 1904, 4e édition de 1979) présente un article sur les autres noms de lieux Éoulx, village des Alpes maritimes, Éoux en Haute-Garonne ou bien Eus dans les Pyrénées orientales, ainsi que différentes explications. Si on se base sur la phonétique occitane le mot peut tout aussi bien désigner le pluriel du mot Leon : Leons, lions, si on distingue les deux voyelles en deux sons (diérèse). En revanche, si on agglutine les deux sons des deux voyelles on obtient un autre son et donc un autre mot, avec un sens très différent. Il s’agit là d’une plante : l’hièble, en français, l’èus en occitan. « Mas macarèl ?! Qu’es aquò ? ». L’èus peut signifier le lierre, mais ici, en Languedoc, on utilise plutôt le mot l’èdra, le mot peut aussi bien être associé à l’euse qui désigne le chêne vert. Mais c’est une troisième plante qu’il faut mobiliser : l’hièble ou yèble, dont le nom botanique est le sambucus ebulus. Il s’agit du sureau hièble qui est aussi appelé « herbe-aux-yeux » ou « herbe-à-l’aveugle ». C’est le petit sureau, le toxique, contrairement au sureau comestible qui en occitan se dit sambucL’èus désigne donc ici un lieu à partir du nom d’une plante. Mais est-ce bien la bonne raison qui est à l’origine de la dénomination du hameau de Léoux ? Une recherche approfondie permettrait de vérifier grâce aux mentions anciennes du lieu dans les archives.

Deuxième nom, Niort ou Niord, qui s’écrit de plusieurs manière dans les cadastres  et les actes notariés : niortniord, ou même gnort en 1838. L’explication est moins large car deux hypothèses peuvent être convoquées : nom de famille languedocien venant d’un nom latin Aniortum ou bien la cristallisation de la forme un òrt, qui en occitan peut se prononcer en marquant la liaison entre l’article indéfini et le nom, ce qui aboutirait à une autre forme que un òrt, mais unhòrt > nhòrt > niort / niord. Les noms de lieux sont assez nomades dans leurs formes écrites et leur orthographe ! « Alavetz ? Òrt, qué vòl dire ? Que signifie òrt ? », demandez-vous ? La racine de ce terme se retrouve dans les mots suivants : ortalièrortalissaorticultura en occitan, horticulture en français, ou bien huerta en espagnol.

Quant à Quarantan, le sens peut être aisément déduit : quaranta ans / quarante ans. Mais alors quel rapport avec un nom de ferme ? De lieu ? Là aussi deux explications pourraient être formulées.  Les cadastres indiquent une variante avec un -s final : Quarantans ou Quarante ans. Une racine pré-indo-européenne (avant le IVe millénaire avant notre ère) : Kar-, Kal- ou Kan- présente dans les termes Cantemerle ou Cantal ou dans le mot gaulois caranto (pierre sableuse), racine qui fait référence à la pierre ou la roche. L’autre piste serait beaucoup plus récente et renverrait à une expression liée à une uchronie (une époque imaginaire) : l’an 40 de la République. En effet, au début du XIXe siècle, sous la Restauration, voire même encore durant la seconde République, ce fameux an quarante était considéré comme s’il n’adviendrait jamais car si éloigné du présent. « M’en foti coma de l’an quaranta ! » soit «  Je m’en fous comme de l’an quarante ! ». Mais comment une telle expression fut-elle attribuée à un nom de lieu ? C’est en posant cette question que l’on mesure toute la fragilité de l’hypothèse, car il peut s’agir d’un surnom, d’un sobriquet, d’un escais, ou encore d’une déformation qui aurait été rapprochée de cette expression… Les conjectures pourraient se multiplier à l’infini, car ce qui fait défaut ici à l’historien c’est le contexte : que s’est-il passé pour en arriver à baptiser ce lieu de ce nom ? On peut aussi mentionner les expressions en occitan autour du chiffre quarante pour évoquer la durée de pousse de certaines plantes… Là l’explication serait liée à la qualité du sol… Voyage, vous avais-je annoncé !

Tout ceci pour dire qu’expliquer un nom de lieu est parfois difficile et requiert une humilité dans la recherche de la connaissance.

E cric e crac, lo viatge es acabat !

Fins al còp que ven.

Stéphane BOURDONCLE