Les évolutions sociétales, scientifiques et technologiques nous ramènent, nous qui sommes nés il y a quelques dizaines d’années voire plus d’un demi-siècle, dans ce qui était alors pour nous de la science-fiction. Qui n’a pas rêvé, sans y croire vraiment, de communiquer avec l’autre bout de la Terre, en se parlant comme si nous étions proches et surtout en se voyant ?! Qui n’a pas souhaité partager un moment unique, avec ceux que l’on aime, où que nous soyons ? Tout est allé très vite, et nous y sommes !
Comme pour beaucoup, l’accès à internet, les premiers pas vers les réseaux sociaux m’ont séduite au point de les privilégier souvent à d’autres activités, pourtant bien saines et bénéfiques.
Pour exemple, sans me considérer « geek » selon la formule adaptée, avant même de déguster mon café du matin, je mets en fonctionnement mon ordinateur, et en buvant la boisson chaude censée estomper derniers signes de la nuit : je surfe !
Dix ans en arrière, je sortais mon tapis de sol, pratiquais quelques exercices gainant, sortais mes baskets pour un footing matinal, ou prenait mon café en discutant avec la personne qui partageait mon univers… C’était avant.
Nous avançons avec notre époque, la sphère professionnelle nous y incite, le besoin de se sentir comme tous, maître des avancées technologiques, le désir aussi de rester en lien avec ceux qui sont trop loin de nous.
Il faut bien reconnaître que toutes ces nouvelles technologies apportent du confort : elles aident à rompre l’isolement dont certains souffrent, facilitent l’accès à la culture et à l’information, et nous ont bien aidés durant les semaines de confinement en nous rassurant sur la santé des uns et des autres et en nous permettant de rester en lien quand le contact physique n’était pas envisagé. Le progrès a du bon ; il n’y a au fond que de mauvaises utilisations, des dérives bien spécifiques à l’être humain.

Gérard BROMER, sociologue, explique que très souvent les réseaux sociaux ne font que mettre en exergue des fonctionnements intrinsèques à l’humain, dans son être « animal ». La diffusion d’images, de photos de vacances idylliques, de vies apparemment plus réussies que la nôtre, de moments fastes, joyeux, amoureux… tous ces moments qui font naître l’envie et la comparaison ne font en somme qu’accentuer notre aversion pour le malheur, par excès de comparaison. Ce phénomène s’observe de la même manière dans les sphères de compétition. Par exemple, l’athlète qui remporte la médaille d argent sera plus attristé et déçu que celui qui gagne la médaille de bronze. Le médaillé d’argent se compare automatiquement à celui qui est couronné d’or ; le troisième, quant à lui, va se satisfaire de son sort en pensant à tous ceux qui n’ont pas eu accès au podium. Sans que nous en ayons conscience, les publications, photos et vidéos projetées sur le net nous placent dans cette même attitude d’insatisfaction.
Par ailleurs, la diffusion à outrance d’informations (souvent non vérifiées, parfois « fake news », régulièrement manipulées) nous engage dans une attitude de conflit qui, au fond, altère notre bonne humeur, notre mental.
Je dirai qu’aujourd’hui, cet accès facile à tout, sans filtre (et c’est bien là le problème), influe de manière néfaste sur notre vie. À travers ce que l’on appelle la toile, nous nous sentons pousser des ailes : la critique est aisée et anonyme, non constructive la plupart du temps. Nous croyons, parce qu’on nous amène à le penser, que nous avons la connaissance sur tout et pour tout, parce que « vu sur internet ».Nous nous sentons obligé de répondre, de donner notre avis, de nous exprimer, de nous sentir concernés : j’aime, je suis triste, je suis en colère… Merci les emojis ! Sauf que ces petits visages sont restrictifs et qu’ils nous incitent à nous engager dans un débat qui, au fond, ne nous concerne pas. Qui vérifie systématiquement les sources des affirmations (plutôt qu’informations) du net ? Trop peu de monde en fait. Cela prend du temps, comme celui de lire un livre, de s’engager dans une association, de mettre en action nos idées… Et le temps, avec internet et les réseaux, est raccourci, nous n’en avons plus.
Dans les établissements scolaires, une prévention est dispensée sur l’utilisation des réseaux et leurs dérives. Cette prévention devrait concerner tout le monde. Alors chers concitoyens, je ne sais pas vous, mais moi, je vais reprendre mon tapis de sol, je vais continuer à me plonger dans des livres, je vais débattre en « présentiel » (très tendance ces derniers temps) et je vais choisir la bonne humeur au conflit ou au complot, mes amis incarnés à ceux décrétés de Facebook. Je sens déjà un vent de liberté, pas vous?
Cathy MARROT