Nous reprenons ici notre trilogie sur les fontaines, commencée dans le Mirepoix-INFOS de septembre-octobre 2021. Dans ce second article, publié initialement en 2016 sur son site http://belcikowski.org/ladormeuseblogue/ et partagé ici avec l’aimable autorisation de son auteur, Christine BELCIKOWSKI souhaitait attirer l’attention sur la fontaine des Trinitaires et la dégradation de son état…

J’ai revisité dernièrement la fontaine des Trinitaires, qui subsiste aujourd’hui encore, quoique dans un état de délabrement inquiétant, sur l’ancien site du couvent, à l’endroit signalé sur le plan ci-dessus. Il s’agit là d’une œuvre rare, ornée de figures étranges, caractéristiques de l’inspiration baroque. Je suis scandalisée de l’abandon dont elle souffre. J’ai cherché à savoir s’il existe dans le patrimoine artistique des Trinitaires d’autres fontaines comparables. Je n’en ai trouvé aucune jusqu’ici.
La fontaine occupe dans la symbolique des Trinitaires une place importante. Le R. P. CALIXTE de la Providence rapporte dans Vie de de Saint Jean de Matha, fondateur de l’ordre de la très Sainte Trinité[1] qu’alors retirés dans une grotte de la forêt de Cerfroid (Aisne) où ils menaient une vie d’anachorètes,
« Ils [Jean de Matha et l’ermite Félix de Valois] avaient souvent vu un cerf, d’un éclatante blancheur, venir se désaltérer dans la fontaine d’eau vive qui leur fournissait à eux-mêmes leur unique boisson. Un jour, comme ils étaient à discourir des choses de Dieu, sur les bords de cette fontaine, ils virent venir à eux le cerf qui, cette fois, portait dans son bois une croix rouge et bleue, semblable à celle que Jean de Matha avait vue sur la poitrine d’un ange pendant sa première messe. Ce signe miraculeux, qui se renouvelait presque autant de fois qu’ils venaient à la fontaine, alluma un nouveau feu dans leur âme. Et comme, d’ailleurs, le Seigneur agissait directement sur leur esprit, par de célestes inspirations qu’il leur communiquait dans le silence des nuits, ils eurent bientôt acquis la plus complète persuasion que la volonté du ciel était qu’ils ne missent plus aucun retard dans l’exécution du projet que la Providence leur avait inspiré pour la délivrance de leurs frères captifs. »»

Le couvent romain des Trinitaire déchaux, pour lequel le grand architecte baroque Francesco BORROMINI a bâti entre 1638 et 1667 l’église Saint Charles des Quatre Fontaines, comprenait une fontaine dans le jardin du cloître. On dispose du plan de cet aménagement. Celui du couvent de Mirepoix, avec la fontaine au centre du jardin, se révèle identique.
Voici maintenant une série de photos de la fontaine des Trinitaires de Mirepoix. Je me suis attachée à photographier chacune des figures, inquiétantes ou funèbres, qui ornent les flancs de cette fontaine. [L’intégralité des photos sont à (re)découvrir sur le site, ndlr]
J’ai d’abord songé à parler ici de « mascarons ». Mais Wikipedia donne du mascaron la définition suivante : « En architecture, un mascaron est un ornement représentant généralement une figure humaine, parfois effrayante, dont la fonction apotropaïque était, à l’origine, d’éloigner les mauvais esprits afin qu’ils ne pénètrent pas dans la demeure ». Les figures qui ornent la fontaine des Trinitaires hésitent entre l’animal et l’humain. Il s’agit donc plutôt de « chimères », du nom donné en architecture à des figures fantastiques, mythiques ou grotesques, en tout cas de type hybride.

À quelle fonction les chimères de la fontaine des Trinitaires de Mirepoix répondaient-elles ? Faute de documents témoins, nous n’en savons rien. Situées au centre d’un jardin bordé d’un cloître, elles fournissaient sans doute matière à méditation. Le motif de draperie qui les relie et qui couvre chaque fois leur tête s’apparente au linceul. On supposera donc que les Trinitaires s’adonnaient ici à la méditation de la mort ainsi que des affres de cette dernière, affres dont les âmes pieuses, seules, peuvent s’affranchir. L’art des Trinitaires relèverait donc ici du Memento mori.
Christine BELCIKOWSKI
[1] R. P. Calixte de la Providence, religieux trinitaire. Vie de de Saint Jean de Matha, fondateur de l’ordre de la très Sainte Trinité, page 85. F. Wattelier, Editeur. Paris.1867.