Au décès de l’évêque Pierre DE BONSOM DE DONNAUD en 1630, le siège épiscopal revient à Louis NOGARET DE LA VALETTE. Au cours de cet épiscopat, au printemps de 1653, l’Hers enfle violemment et la crue détruit l’église Saint-Michel, son cimetière et des « masures » situés non loin du Chêne-Vert. Priorité est donnée à l’installation d’un nouveau cimetière, que Louis Hercule DE LEVIS VENTADOUR, successeur de Louis NOGARET DE LA VALETTE, fait clôturer à la demande des chanoines réunis en Chapitre le 1er mai 1658, car les enfants perturbent le lieu sacré en venant y jouer.

Le cimetière est appelé « du Sautadou », du nom du ruisselet en lien avec le Countirou et les fossés, et que l’on pouvait franchir d’un saut. L’attitude de stricte séparation entre les vivants et les morts est récente, en ce XVIIe siècle. Jusque-là, depuis la fin de l’Antiquité, l’aître est ce terrain laissé libre autour d’une église pour l’ensevelissement des morts. Bien que sacré, il accepte des habitats rudimentaires, des commerces, des rassemblements et même des animaux en pâture. Seuls les spectacles vivants n’y sont pas les bienvenus. C’est une évolution dans les mentalités qui pousse le Chapitre et l’évêque à clôturer le nouveau cimetière, afin de préserver le repos des défunts.

Le 16 mai 1658, Anne D’ESCALA, nièce de Pierre DE BONSOM DE DONNAUD, perd son époux Louis DE LABALME, conseiller du roi et receveur des tailles et décimes aux diocèses de Mirepoix et Pamiers. Veuve et unique héritière, désormais reconnue comme personne civile et morale, elle dispose d’une fortune suffisante pour proposer de faire construire à ses frais une église consacrée à L’Immaculée Conception de Notre-Dame et Saint-Michel qui vienne compléter le cimetière. Louis Hercule DE LEVIS VENTADOUR et le Chapitre autorisent pour cela le remploi de pierres prises de l’ancienne église Saint-Georges de Paychels, près de Besset, des masures du Capitoul, là où se trouvaient les greniers du Chapitre, et d’autres de sa métairie des Paraulettes, aux portes de Mirepoix, sur la route de Lavelanet. En 1715, sa nièce Magdelaine D’ESCALA, veuve du sieur CAYROL, est enterrée « à la chapelle St Michel du cimetière de Mirepoix », ainsi que d’autres membres de cette famille.

Dans le « cimetière vieux », quelques sépultures

Pour chacun, les personnes les plus importantes sont les membres de sa famille. Mais il y a aussi des sépultures de personnes connues de tous, au titre de l’Histoire, de la littérature ou des arts.

Le maréchal CLAUZEL avait fait enterrer ses parents dans sa propriété des Cordeliers, près de la Fontaine. Marie Henriette ADAM et lui-même y furent inhumés aussi. Son tombeau fut transféré fin 1858 au « cimetière du Sautadou » à Mirepoix, à la demande de la famille[1].

Au détour des allées, on lit des noms : Marie-Louise et Raymond ESCHOLIER[2], écrivains, Mimy LE CORDIER[3] née CHABAUD, peintre et poète, François BRUSTIER[4], peintre, Antoine et Marius JOGNARELLI[5], père et fils, tous deux artistes peintres, Rodolphe ARRIVÉ[6], artiste, Jules PETITPIED[7], colonel, Florentin VIDAL, neveu de l’astronome Jacques VIDAL, ou des patronymes qui évoquent des familles connues au fil du temps : CHABAUD, GORGUOS, VIGAROSY, ROUGER …

→ L’église de l’Immaculée Conception de Notre-Dame et de Saint-Michel, dite église du cimetière

Au fond de la nef, une très vieille pierre gravée, en partie cachée par la cloison ajoutée, porte des lettres capitales, mais reste encore une énigme. Elle pourrait faire partie des trois dalles sauvées de la première église Saint-Michel, un temps gardées en la cathédrale, finalement remployées ici. En effet, les lettres majuscules « A, T, H, O » d’une graphie médiévale claire, pourraient venir de la plate-tombe de Raymond D’ATHON, premier évêque de Mirepoix, enterré en la cathédrale. L’épigraphie pourrait dater du XIVe siècle.

Non loin, une autre dalle, plus lisible mais elle aussi partiellement masquée par la cloison, dit : « Maître Jean Rouger notaire pour les siens 1667 ». Les archives nous font connaître Maître Jean ROUGER, notaire de Mirepoix. Il est l’époux de Paule GAGNOLET, qui, elle, meurt en 1667. Il a donc inauguré, en quelque sorte, une fosse familiale pour son épouse, qu’il ne rejoindra lui-même qu’en 1694. Il avait auparavant perdu une fille, Guilhalme, « ensevelie à cinq ou six heures du soir au cimetière dans ma sépulture, que ma famille a commencée. » L’église étant bâtie à cet endroit du cimetière,  au-dessus de cette sépulture, Jean ROUGER a pris la décision ou demandé l’autorisation de considérer cet endroit comme la sépulture familiale.  Son fils François, notaire lui aussi, tient un livre de raison, qui renseigne autant sur l’histoire de la famille que sur celle de Mirepoix. Il raconte son mariage, son veuvage, son second mariage, puis l’épidémie de variole qui lui enlève une fille, sa mère, puis quatre enfants encore en un court laps de temps. Toutes ces personnes sont enterrées dans cette fosse, et dans une autre, proche, appartenant à la famille de sa seconde épouse. Le livre de raison précise ensuite que sa seconde épouse «  fut ensevelie le 14 dudit mois de juillet 1713 à dix heures du matin, dans la chapelle du cimetière à la fosse de Mr Dominique Vidal son père docteur en médecine, laquelle est située entre le bénitier et la porte à cause qu’on ne peut pas la mettre dans mon tombeau ordinaire qui se trouve couvert de ruines par la chute du toit de la chapelle. »

Quelques sépultures ecclésiales tardives

Plus haut dans la nef, trois grandes dalles gravées protègent les dépouilles de trois ecclésiastiques : le chanoine Antoine Basile Dominique Prosper GASTON, enterré en 1882, l’archiprêtre Aloysius CLERC, enterré en 1920, et le chanoine EYCHENNE, enterré en 1930. Les trois épitaphes sont en latin. Celle du chanoine GASTON, probablement rédigée par son successeur le chanoine BARBE qui avait un penchant pour le latin et les énigmes, ou plutôt les énigmes en latin, semble justement énigmatique. Nous savons au moins que le chanoine GASTON fut un bon pasteur, d’une piété ardente et soucieux de son troupeau, et qu’il mourut en embrassant la croix. (antoine basile Dominique prosper Gaston bon pasteur cœur du christ (le plus sacré) ardeur pour la piété pour son troupeau à son crédit menaçant lui-même / menaçant lui-même il est mort en embrassant la croix le deuxième jour de décembre de l’année du seigneur 1882 dans le vrai voyage 72 Qu’il repose en paix).

L’archiprêtre CLERC fit preuve d’un rare zèle envers les âmes, et s’efforça dans la doctrine, la piété et la patience. (Ci-gît aloysius clerc archiprêtre de mirepoix premier rare zèle des âmes et brûlant d’un embrasement pour l’eucharistie, il s’est efforcé dans la doctrine, la piété et la patience. Il est mort dans le Seigneur le 28e jour de mars 1920 à l’âge de 65 ans.)

Le chanoine EYCHENNE, bon pasteur de Mirepoix, est mort le 25e jour d’août, dit son épitaphe. Les registres de décès précisent : 1930. Cette dalle présente un aspect ambigu : elle est ancienne, avec des mots gravés presque disparus, et utilisée en remploi, ce qui explique la parfaite lisibilité de l’épitaphe du chanoine EYCHENNE.

Les mots anciens peu lisibles, les lignes incomplètes ne permettent pas de savoir à qui était destinée la première épitaphe. Seule la date de 1768, visible, peut aider.

Les registres des BMS (pour « Baptême, Mariage, Sépulture ») nous disent que le 3 février 1768 est mort Monseigneur Jean Baptiste DE CHAMPFLOUR. Prélat vénéré, modeste, il a pu souhaiter être inhumé dans une petite église comme celle-ci, plutôt que dans la cathédrale, auprès de ses honorables prédécesseurs.

En 1774, Bertrand DE LA TOUR publie Vie du Frère Irénée des écoles chrétiennes, suivie de l’éloge historique de Monseigneur de Champflour, dans laquelle on trouve le texte complet de l’épitaphe. La disposition du texte gravé correspond à ceci, les mots en rouge étant encore lisibles :

HIC JACET R.R. IN CHR

ISTO PATER D.D. JOA

NNES BAPTISTA DE CH

AMPFLOUR EPISCO

PUS MIRAPICIENSIS. C

UJUS MEMORIA IN BEN

EDICTIONE EST QUIQ

UE DUM VIVERET IN HU

MANIS.MIRIS VIRTU

TIBUS IMPRIMIS FIDE

I ET PIETATIS ARDORE.

CHARITATE IN PAUP

ERES . VITA AUSTERIT

ATE . PAUPERIATIS A

(Cassure de la dalle, grossièrement réparée)

MORE.FASTUS CONT

EMPTU . AC EXIMIA SE

DULITATE . ENITUIT

OMNIBUSQ . CHARUM SE

PRAEBUIT. DENIQUE

PLENUS . OPERIBUS BO

NIS . ANNOSQUE VITAE A

DEPTUS 85 EPISCOP

ATUS VERO TRIGINTA OBIIT

DIE .3 .FEBRUARII ANNO DOMINI

17                                  68

« Ci-gît le très Révérend Père dans le Christ Jean Baptiste de Champflour Evêque de Mirepoix qui n’a laissé le souvenir que de bienfaits et qui tant qu’il a vécu s’est distingué par d’admirables vertus surtout par l’ardeur de sa foi et de sa piété, sa charité envers les pauvres, sa vie d’austérité, l’amour de la pauvreté, le mépris du luxe et un rare empressement et ainsi est devenu cher à tous Enfin ayant rempli la mesure des bonnes œuvres et arrivé à l’âge de 85 ans dont trente d’épiscopat il mourut le troisième jour du mois de février de l’an du Seigneur 1768. »

Le cimetière de Mazerettes

De ce cimetière, blotti entre un paysage de collines et la petite église Saint-Genest, se dégage une atmosphère apaisante. Les sépultures les plus anciennes ont disparu, bien sûr, d’autant qu’elles n’étaient pas matérialisées par des dalles ou des tombes. En revanche, quelques actes, relevés dans les registres de BMS, rappellent que de nombreux habitants du hameau travaillaient au château de Mazerettes, propriété des évêques de Mirepoix.

En 1676, Louis Hercule DE LEVIS VENTADOUR[8] perd son jardinier Salvy AVILLON et son maître d’hôtel Raymond ROUZILLAC. Pierre DE LA BROÜE[9] enterre Jean ROUSSEL, son portier, en 1699, et son maître d’hôtel Jean DACAMPS en 1717, « agé de 74 ou 75 ans ». Jean Baptiste DE CHAMPFLOUR[10] perd son muletier, Jean BLATCHE, en 1753, et son jardinier, Antoine MERCADIER, en 1763.

Le 25 novembre 1785, est enterré Guilhaume BRISAU, « maître d’hôtel de Monseigneur l’évêque de Mirepoix[11] ». Natif de Cahors, cet homme dont l’âge n’est pas précisé, « fut trouvé mort le jour d’hier s’étant noyé dans le grand bassin qui est au milieu du jardin du palais épiscopal ». Ce bassin en marbre, œuvre du sculpteur Jean RANCY pour l’évêque Philippe de Lévis[12], n’est pas très profond, mais on peut supposer que, victime d’un malaise, Guilhaume BRISAU est tombé à plat ventre dans l’eau froide de fin novembre.

Le cimetière de Saint-Aulin

Image traditionnelle et poétique, presque romantique, du petit cimetière de campagne, avec ses tombes anciennes et ses cyprès, enclos dans un mur ancien, le cimetière de Saint-Aulin apparaît dans les archives comme ayant souvent besoin de travaux de protection[13].

En 1766, Martial AYMARD, maître maçon, signale qu’il faut faire « une muraille au cimetière en pierre et chaux ». En 1768, le maître maçon Nicolas DAVAM vérifie les travaux et trouve que le mur du cimetière est « fait et parfait selon le devis », avec une augmentation de quelques mètres à la demande du curé, pour pouvoir fermer le cimetière. En 1861, un plan d’agrandissement du cimetière est établi, bien que la population de Saint-Aulin ait baissé. En 1895, une pétition de la Fabrique de Saint-Aulin signale à la mairie de Mirepoix le délabrement de la toiture de l’église et du presbytère, ainsi que le mauvais état du mur du cimetière.

Sans lien avec le cimetière de Saint-Aulin, mais par proximité avec le registre des décès, un acte particulier est noté par le curé AMOUROUX en juin 1702. Il rend compte du décès de Noble Pierre CHARLES, marquis de Mirepoix, mort à trente-trois ans dans la ville de Mirepoix. Ce décès ne devrait pas figurer dans ce registre, puisque ni le défunt ni sa famille ne sont des paroissiens. Ils résident dans leur hôtel de Mirepoix. Or, le curé AMOUROUX consacre plusieurs lignes à ce décès et exprime une grande humanité à l’égard de la jeune veuve et du petit garçon désormais orphelin de père. Il évoque ce « petit marquis agé de trante mois et  sa mère régente ».

Selon l’étymologie grecque κοιμητήριον, koimêtêrion, le cimetière est le lieu où l’on dort, où dorment « nos prédécesseurs », selon la formule souvent utilisée dans les registres anciens. C’est aussi, depuis le Moyen Âge, un lieu proche des villes et de leur vie, permettant à chacun d’aller se souvenir ou simplement lire des noms pour retrouver l’histoire de sa ville. Autrefois, les enfants accompagnaient les grand-mères au cimetière et apprenaient les rudiments de la lecture en déchiffrant les noms sur les tombes…

« En Arles« 

Dans Arles, où sont les Aliscams,
Quand l’ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,

Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton cœur trop lourd,

Et que se taisent les colombes,
Parle tout bas, si c’est d’amour,
Au bord des tombes[14]. »

Martine ROUCHE

Guide conférencier


[1] Voir article Un portrait : un personnage, Bertrand CLAUZEL (1772-1842), Mirepoix INFOS n°183, janvier 2021.

[2] Voir article Nos quartiers, nos hameaux, nos rues…, Mirepoix INFOS n°187, juin 2021.

[3] 1901-1977. Recueil de poèmes Louanges, Aurillac, 1977.

[4] Voir article François BRUSTIER, artiste peintre de Mirepoix (1884-1914), Mirepoix INFOS n°173, mai 2019.

[5] Voir article Recherches sur Marius JOGNARELLI, Mirepoix INFOS n°159, novembre 2021.

[6] Voir article Histoire de Rodolphe ARRIVÉ, artiste, Mirepoix INFOS n°188, juillet 2021.

[7] Voir article Le colonel Jules PETITPIED, enfant de Mirepoix, Mirepoix INFOS n°179, janvier 2020.

[8] Évêque de Mirepoix, 1655-1679.

[9] Évêque de Mirepoix, 1679-1720.

[10] Évêque de Mirepoix, 1737-1768.

[11] François Tristan de Cambon, dernier évêque de Mirepoix, 1768-1790.

[12] Évêque de Mirepoix, 1493-1537.

[13] Voir article « À Saint-Aulin, une petite église qui le dispute en Antiquité à l’église de Mirepoix… » , Mirepoix INFOS n°175, juillet 2019.

[14] TOULET (Paul-Jean), Romances sans musique, 1915.