Petit mot de la municipalité
Nous avons souhaité partager ce travail remarquable de Christine BELCIKOWSKI, que nous remercions très chaleureusement, sur l’histoire de ce petit patrimoine, avec vous lectrices et lecteurs de notre bulletin municipal. Nous pourrons ainsi prendre conscience de l’intérêt historiques et social de ces constructions qui ont été réalisées au fil du temps par des mains ouvrières sur les commandes des édiles pour des commémorations, pour la beauté de la ville et pour les besoins et le confort des habitants. Ainsi, les fontaines ont été une belle amélioration du cadre de vie et surtout du bien-être des villageois. Aujourd’hui, elles font partie d’un décor qui devient invisible car peu mis en valeur et même confisqué à la vue de tous.
Nous demandons à chacun de bien vouloir intégrer dans sa mémoire et son plaisir de vivre à Mirepoix cette part de l’histoire qui nous est offerte et de respecter nos anciens qui ont conféré à notre ville son séduisant attrait.
Monique LE MINEZ – Adjointe à la Culture et au Patrimoine

La lecture des archives conservées à Mirepoix fournit d’intéressantes précisions concernant la fontaine Cambacérès, sise sur la place des Couverts, et édifiée entre 1808 et 1810 sous le contrôle éclairé de l’astronome Jacques VIDAL.

Martine ROUCHE reproduisait récemment sur le blog, dans les commentaires qui font suite à l’article « Mirepoix, une ville dotée de fontaines et de réverbères » (voir http://belcikowski.org/ladormeuseblogue/?p=3702), divers documents relatifs à l’emplacement de cette fontaine. Le choix d’un tel emplacement a manifestement fait débat. J’exploite ici le contenu des documents trouvés aux archives et patiemment retranscrits par l’équipe des Mirepoises, Martine ROUCHE et Claudine L’HÔTE-AZÉMA.
Le Conseil municipal de la ville de Mirepoix, en date du 28 décembre 1808, délibère, sans autre précision topographique, « d’Eriger sur La Principale Place une fontaine Sous le nom de fontaine Cambacérès ».

2 : boucherie tenue par la veuve Guillou ;
3 : rue d’Amont (aujourd’hui, rue Porte d’Amont) ;
4 : tour des clarifications, ou tour des filtres.
Informés du projet, les héritiers MALROC LAFAGE interviennent alors auprès du maire de Mirepoix :
« Je fus mercredi dernier chez vous pour avoir l’honneur de vous voir et pour vous faire mes justes représentations au sujet de la fontaine qui, suivant le bruit public, doit être placée à coté de la boutique appartenant aux héritiers Malroc Lafage, dans laquelle la veuve Guillou, dite Margautton tient sa Boucherie […]. Au lieu qu’il y ait nécessité indispensable de placer cette fontaine à côté de notre Boutique il est très facile au contraire de la placer ailleurs, de manière qu’il en résulte les mêmes avantages pour le Public et sans que Personne puisse s’en plaindre. Il ne s’agit pour cela que de la placer au Levant et a la distance convenable de l’angle de notre maison pour que Les passans n’en soient pas incommodés et l’Eau qui en découlera aboutira au Ruisseau et Lavera la Rue d’Amont tout aussi bien que si la fontaine était construite à coté de notre Boutique ».

Le 23 janvier 1810, « septième du règne de Napoléon Premier », en présence de Pierre Jean Baptiste DÉNAT, maire de la commune, et « d’une Foule immense de Citoyens », « Monsieur Dupont-Delporte, Baron de l’Empire, auditeur au Conseil d’Etat, Préfet du Département de l’Ariège », « au son de la musique et au bruit des Boîtes », procède à la pose de la première pierre de la fontaine Cambacérès.
Le procès-verbal précise que Monsieur DUPONT-DELPORTE « pose cette pierre dans son Fondement ». Voilà qui résout une petite énigme : on ne trouve sur la fontaine, lorsqu’on en fait le tour, aucune inscription qui mentionne le dédicataire ni la date d’installation. Les mentions attendues sont cachées « dans le Fondement ».
Il semble que les héritiers MALROC LAFAGE aient été entendus, puisque la fontaine dédiée à Cambacérès a été édifiée et s’élève aujourd’hui encore « au Levant » de la Principale Place, devant l’actuel café Castignolles (Ndlr : aujourd’hui « le Casti »), soit « à distance convenable » de l’angle de la Place « où la veuve Guillou, dite Margautton, tenait sa boucherie » (actuellement remplacée par le magasin Casino. Ndlr : aujourd’hui « le Petit Bouchon »), et où l’eau qui découlera de la dite fontaine « aboutira au Ruisseau et Lavera la Rue d’Amont ».

Outre un débat sur l’emplacement « convenable », l’édification de la fontaine Cambacérès a suscité des problèmes de financement qui grèveront le budget de la ville au moins jusqu’en 1816. Suite à diverses modifications qui sont apparues nécessaires au fur et à mesure de l’avancement du projet, le devis a gonflé.
Malgré une subvention impériale, la ville a dû faire appel à des souscripteurs, qui ne se sont pas pressés en foule. Les lettres de relance indiquent en outre que ces derniers tardaient souvent à régler la somme promise. Projetée en 1808, soit quatre ans après la proclamation du Premier Empire, l’édification de la fontaine aboutit tant bien que mal en 1810, année marquée par le mariage de l’empereur avec l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche. Elle vient à point nommé célébrer, via l’hommage rendu à Jean Jacques Régis de CAMBACÉRÈS, anciennement maire de Mirepoix, l’apogée de l’Empire. Mais en 1815, alors que Mirepoix n’a point fini d’honorer sa facture, ironie du sort, l’Empire s’écroule.

Dédicataire prétexte plus que véritable inspirateur de la fontaine éponyme, Jean Jacques Régis de CAMBACÉRÈS a été, sous l’Ancien Régime, maire (in absentia) de Mirepoix. Durant la Révolution, il est successivement président du tribunal criminel de l’Hérault, député de l’Hérault à la Convention nationale, président de la Convention et président du Comité de Salut Public. Sous le Directoire, il exerce des fonctions diplomatiques, puis devient ministre de la Justice ; en 1799, il favorise à ce poste le coup d’état du 18 Brumaire. Sous le Consulat, il est élevé au statut de deuxième consul. Sous l’Empire, il assure en l’absence de l’empereur la présidence du Sénat et du Conseil d’État ; en 1808, enfin, il est nommé Prince-Archichancelier de l’Empire, Grand Aigle de la Légion d’honneur et duc de Parme.
Jean Jacques Régis de CAMBACÉRÈS n’a sans doute jamais exercé « in presentia » la charge de maire que son père lui avait achetée en 1772 à Mirepoix. Il n’a en tout cas rien fait du tout pour cette ville. L’hommage – in absentia derechef – que lui rend Mirepoix en 1810 ne procède donc aucunement d’une quelconque reconnaissance, mais probablement de l’intérêt politique bien compris. Via la célébration d’un homme de l’empereur, on prouve son allégeance au régime et l’on en espère des subsides. Ruinée par la Révolution, la ville a en effet bien besoin de se remonter. L’emplacement même de la fontaine, devant l’actuel café Castignolles (Ndlr : « le Casti »), a, pour l’époque, une signification opportune : Raymond ESCHOLIER, dans « Quand on conspire », signale qu’antérieurement au café Castignolles, le café installé à la même place a servi de quartier général aux « chapeaux noirs », partisans de Napoléon Ier, puis de Napoléon III, plus généralement de l’idéologie bonapartiste. Après la chute de l’Empire et l’avènement de la Restauration, la célébration de CAMBACÉRÈS devient inopportune. L’effort consenti par la ville de Mirepoix l’aura été, semble-t-il, en pure perte.
On remarque aujourd’hui qu’après Victor HUGO et les « Châtiments » appelés par celui-ci contre la dérive impériale, un monument tel que la fontaine de Cambacérès a définitivement perdu dans la cité toute fonction et tout sens. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’aspect actuel de la fontaine. Il indique pour le moins le délaissement, sinon l’abandon. L’eau ne coule plus. Des jardinières plantées d’arbustes souffreteux et de mégots masquent sur trois faces le pied du monument. Régulièrement cerné par les voitures, celui-ci l’est aussi en été par le mobilier du café.
L’édification de la fontaine Cambacérès a cependant fourni à la ville de Mirepoix l’occasion de réaliser entre 1808 et 1810 un ouvrage important pour l’époque. Il s’agit de la tour des clarifications, ou tour des filtres.

Située au bord de la route de Limoux (Ndlr : l’actuelle avenue Jean Durroux), sur la rive droite du Countirou, petit ruisseau qui longe le faubourg du Rumat, elle abritait naguère encore le mécanisme qui assurait le fonctionnement des bassins de filtrage créés alentour. L’eau ainsi clarifiée a servi à alimenter non seulement la fontaine de Cambacérès, mais l’ensemble des fontaines installées au Levant de la ville. Les documents relatifs à l’édification et au fonctionnement de la tour des clarifications peuvent être consultés aux archives de Mirepoix. Parmi eux figurent des plans très beaux, comme on a pu le voir ci-dessus.
Incluse dans un ensemble immobilier de création récente, la tour n’est plus accessible au promeneur. Les anciens bassins de clarification ont été bétonnés. La machinerie jadis abritée par la tour a, dit-on, disparu également. On peut toutefois admirer la silhouette de la tour depuis la route de Limoux, à mi-chemin entre la place du Rumat et le pont qui enjambe le Countirou.
Christine BELCIKOWSKI
Cet article est publié avec l’aimable autorisation de son auteur, Christine BELCIKOWSKI. Il est disponible dans son intégralité sur le site http://belcikowski.org/ladormeuseblogue/, qui contient une mine d’informations sur l’histoire et le patrimoine de notre chère commune. Il est le premier de trois articles qui ont pour thème les fontaines mirapiciennes.