Un portrait, un personnage (1) : Gaston Pierre Charles de Lévis (1699-1757)

Ce portrait à mi-corps ou « portrait aux genoux » du duc de Mirepoix, maréchal héréditaire de la foi, maréchal des armées du roi, est une peinture à l’huile sur toile de lin, de format rectangulaire vertical, dans un cadre à onglets en bois doré. Inscrit au titre d’objet depuis le 4 juillet 1997, il est propriété de la commune. Il mesure 1,30 x 0,96 m. sans cadre, 1,56 x 1,23 m. avec le cadre. Le tableau daterait du XIXe siècle. Il est en tout cas postérieur au 24 février 1757, date à laquelle le roi Louis XV accorde le maréchalat à Gaston Pierre Charles de LÉVIS. Le tableau ne porte ni signature ni contresignature.

Bien que donnant à voir, dans l’angle inférieur dextre, une tête de cheval, d’anatomie improbable, tournée vers l’arrière par rapport au cavalier, le portrait ne saurait être dit « équestre » ni « à cheval », ces termes étant réservés aux portraits dans lesquels le cheval et son cavalier sont vus en entier.

Posture et apparat

Gaston Pierre Charles de Lévis

De façon patente, ce portrait s’inspire des portraits de Louis XV, présenté lui aussi en demi-armure, par Jean Baptiste VAN LOO, par son frère cadet Charles André dit Carle VAN LOO, et par Quentin de LA TOUR. Il s’inspire aussi des portraits mis en scène pendant près de 40 ans par Hyacinthe RIGAUD, dans lesquels des officiers et maréchaux posent toujours de la même façon, main gauche sur la hanche, main droite posée sur l’extrémité du bâton de commandement fleurdelisé. C’est du portrait de Louis XV par Jean Baptiste VAN LOO,[1] que s’approche le plus celui de Gaston Pierre Charles de LÉVIS. Seul le décor diffère : le roi est debout dans un décor associant extérieur (ciel nuageux, imposante colonne) et intérieur (meuble en bois ouvragé à dessus de marbre, draperie rouge enflée par le vent). En arrière-plan de Gaston Pierre Charles de LÉVIS, un ciel de nuages gris, avec la trouée atmosphérique bleue chère à Léonard de VINCI, et un arbre, traité de façon sommaire, tiennent lieu de décor.

Louis XV ®RMN (Château de Versailles) Gérard Blot.

Dans le portrait de Jean-Baptiste VAN LOO, Louis XV porte une demi-armure sur un habit de velours couleur vieil or, à parements de manches de velours bleu roi, et poignets de chemise bordés de dentelle. Gaston Pierre Charles de LÉVIS porte une tenue semblable, les parements de son habit étant de même couleur vieil or. La cravate blanche nouée autour du cou est la même, la perruque grise « aux ailes de pigeon » liée d’un ruban sur la nuque est semblable. Louis XV est vu de profil, tandis que le maréchal de LÉVIS se présente de trois-quarts face, mais tous deux regardent le spectateur. Le manteau royal bleu fleurdelisé d’or, jeté sur le meuble, laisse voir un grand pan de la doublure d’hermine. Un manteau ducal de velours bleu uni, dont seule la bordure d’hermine est visible, est jeté sur l’épaule droite de Gaston Pierre Charles de LÉVIS. Les deux personnages portent la bannière bleue de l’Ordre du Saint-Esprit, en écharpe sur l’épaule droite. Gaston Pierre Charles de LÉVIS est seul promu au grade de chevalier de cet ordre le 2 février 1741, en la chapelle royale du château de Versailles, lors de la 23e promotion du règne.[2]

Outre le flot de velours bleu du manteau qui dissimule assez maladroitement le chanfrein du cheval, et la bannière de moire bleue de l’Ordre du Saint-Esprit, Gaston Pierre Charles de LÉVIS est ceint de l’écharpe blanche de commandement, qui repose ici sur la croupe de son cheval. L’élément central de son costume, qui attire le regard par le rendu des détails et des reflets, est la spallière articulée au brassard. Le bras gauche de Gaston Pierre Charles de LÉVIS est anatomiquement faux : la déformation du coude correspond à l’aspect qu’il aurait présenté si le brassard de l’armure avait été prolongé et articulé au gantelet. Peut-être s’agit-il d’une maladresse du peintre, ou d’un repentir ?

Posé en arrière-plan sur un support indistinct, le casque sommé d’un panache blanc, relève plus de l’héraldique et de l’hagiographie que d’un témoignage authentique. Abandonné depuis longtemps sur les champs de bataille, le casque est ici symbole militaire et honorifique, et souligne la longue lignée familiale. Il est un des éléments de ce portrait d’apparat.

L’épée et le bâton, signes de pouvoir, symboles de commandement[3]

Le 13 mars 1627, un édit de Louis XIII met un terme à la connétablie, en charge du commandement militaire de la France, car le roi la juge rivale dangereuse de son pouvoir personnel. Un connétable recevait des mains du roi une épée, pointe dressée, signe de son pouvoir. Elle figurait ensuite des deux côtés de son blason.

A partir de cette date, le commandement suprême des armées échoit au maréchalat, pour lequel le bâton remplace l’épée. En bois recouvert de velours bleu, orné de clous d’argent doré dont la tête a la forme d’une fleur de lys, ce bâton pouvait mesurer de 30 à 55 cm. Cet objet symbolique figure aussi dans les portraits royaux, dont ceux de Louis XV. En héraldique, deux bâtons de maréchal croisés, posés en sautoir, viennent en soutien de l’écu.

Sous le règne de Louis XV, 48 membres de la noblesse ont été élevés au maréchalat, dont huit en 1757 : Gaston Pierre Charles de LÉVIS est le dernier maréchal désigné en 1757, sept mois avant qu’il ne meure …[4]

Dans le tableau, l’écrit …

Si ce tableau ne porte ni signature ni date, il est en revanche un véritable portrait d’identité de son sujet. Proches du bord supérieur de la toile, se déploient trois lignes discrètes en lettres capitales  d’or, peintes en léger relief. Elles énoncent les titres et honneurs du personnage peint. Elles pourraient passer inaperçues, en haut des nuées … « Pre [PIERRE] Lis [LOUIS] Gton [GASTON][5]de LEVIS et de LOMAGNE, DUC de MIREPOIX, COMTE de TERRIDES, VICOMTE de MONSEGUR, MARÉCHAL de FRANCE, Cne [CAPITAINE]DES GARDES DU ROI, Cne [CAPITAINE] de ses ORDRES, Geur [GOUVERNEUR] de BROAGE, Cant [COMMANDANT] de SA MAJESTÉ dans la PROVINCE de LANGUEDOC, Adeur [AMBASSADEUR] de S[A] M[AJESTÉ] C[HRÉTIENNE] près de S[A] M[AJESTÉ] I[MPÉRIALE] et R[OYALE] [D’]A[UTRICHE] et de sa M[AJESTÉ] B[RITANNIQUE] [S ?]. NÉ en 1700 † en 1757. » 

Inscription tableau ®Laurent Girousse

Dans le tableau, le blason absent …

Sur d’autres portraits de Gaston Pierre Charles de LÉVIS ou de membres de sa famille, figurent les armes reconnaissables aux trois chevrons de sable sur fond d’or. Sur ce portrait, le blason est absent. Loin d’être un manque, c’est un choix du commanditaire, qui qu’il soit. Un portrait avec blason inscrit le sujet peint dans une lignée, une histoire, une continuité familiale et historique, il est un parmi les autres. Au contraire, un portrait sans blason (avec toutefois, pour celui-ci, les lignes d’identification) détache le sujet peint de sa lignée et le met en valeur en tant qu’individu, en tant que lui-même.

Gaston Pierre Charles de LÉVIS de LOMAGNE (1699-1757)

Gaston Pierre Charles de Lévis

Arrière-petit-fils de Louise de ROQUELAURE et Alexandre de LÉVIS, fils de Charles Pierre de LÉVIS et d’Anne Gabrielle d’OLIVIER, Gaston Pierre Charles de LÉVIS est né le 2 décembre 1699 à Belleville (Meurthe-et-Moselle) où son père était en garnison. Le jeune époux et père meurt en son hôtel de Mirepoix le 10 juin 1702, laissant « un petitmarquis age de trante mois et sa mere pour regente de soun dit fils », écrit le vicaire AMOUROUX de Saint-Aulin, qui enregistre le décès.[6]

Anne Gabrielle d’OLIVIER, aidée de tuteurs, élève son fils dans l’optique de le rendre conscient des charges qui l’attendent, et le fait même asseoir aux États de Languedoc alors qu’il n’a que 8 ans. Elle meurt l’année suivante. Éduqué à Paris, élève du lycée Louis-le-Grand, rapidement émancipé, Gaston Pierre Charles de LÉVIS devient à 16 ans mousquetaire du Roi, colonel du régiment de Saintonge en 1719, avant de poursuivre une flamboyante carrière militaire et diplomatique. Toutes les batailles auxquelles il participe, toutes les fonctions auxquelles il est appelé par le roi, toutes les distinctions dont il est honoré se trouvent dans les dictionnaires historiques.

Parmi les hauts postes qu’il occupe, figurent celui d’ambassadeur à Vienne (10 janvier 1738-18 septembre 1740), puis en Angleterre (début décembre 1748-22 juillet 1755), postes dans l’exercice desquels il fait l’admiration générale par ses qualités de fin diplomate et sa courtoisie discrète et efficace. C’est pendant l’exercice de son mandat d’ambassadeur à Vienne qu’il épouse Marguerite Gabriel [sic] de BEAUVAU-CRAON, à Lunéville, le 3 janvier 1739. Le jeune époux est veuf d’Anne Gabrielle Henriette BERNARD, la jeune épouse est veuve de Jacques Henri de LORRAINE, prince de Lixin.

Marguerite Gabriel de Bauveau-Craon, seconde épouse de Gaston Pierre Charles de Lévis.

Devenu duc le 25 septembre 1751, nommé lieutenant général et gouverneur de la province de Languedoc, Gaston Pierre Charles de LÉVIS joue un rôle majeur auprès des populations et œuvre en particulier pour permettre aux protestants de vivre correctement malgré les directives autoritaires et arbitraires de Paris. Frappé par la misère et la sècheresse qui désolent depuis des mois la partie méridionale de la province, il en fait la tournée. Près de Pézénas, il est surpris par un violent orage. Il écoute toutefois la harangue du premier consul, qui s’adresse, non à lui, mais aux assistants, et dit « Pouden dansa nostresadoul, Caouquébounsantet nous proutegeo, HabenMiropeis et la pleijeo, Un bonhur ben pas jamay soul. » Quoique duc de Mirepoix, Gaston Pierre Charles de LÉVIS ne comprend pas le patois et se fait traduire, avant d’apprécier ces paroles chaleureuses …[7]

C’est au cours de cette mission en Languedoc qu’il meurt à Montpellier, le 24 septembre 1757, sept mois après avoir obtenu du roi le titre de maréchal. « Il fut dressé sur un lit de parade, le corps sur ce lit avec ses habits de cérémonie, le manteau ducal, le collier des ordres du roy, le cordon bleu, avec son chapeau en panaches et la couronne ducale, ayant à ses côtés le bâton de maréchal de France. » À la couronne près, la tenue décrite correspond à celle de son portrait … Gaston Pierre Charles de LÉVIS est enterré en l’église basilique Notre-Dame des Tables, à Montpellier,[8] son cœur embaumé est porté jusqu’en l’église des Cordeliers de Mirepoix.[9]

À « l’occasion de la mort de Mr le maréchal de mirepoix »,[10] la communauté de Mirepoix adresse des courriers de condoléances à son épouse et à son neveu, désormais son successeur. La lettre à la maréchale de Mirepoix l’assure que « les larmes que vous donnez au lien le plus étroit et aux vertus de l’Auguste époux que vous venez de perdre, nous les donnons a son mérite, à ses seules vertus, aux rares qualités qui avaient gagné le cœur de touts ses emphytéotes, et qui nous font d’autant plus regretter le seigneur bienfaisant que nous avons perdu. »

Au neveu de Gaston Pierre Charles de LÉVIS, la communauté de Mirepoix écrit qu’elle n’aura « point recours a des expressions recherchées pour témoigner la vive douleur dont elle est pénétrée. […] Nous serions inconsolables de sa perte si nous n’espérions monsieur de trouver en vous une image parfaite du modelé des bons maîtres. »[11]

AD34, Montpellier, N.D. des Tables, S. 1748-1761, 5Mi 1_29, 293_392.

Depuis les premiers jours du mois d’août 1867 …

Sous le second Empire, le duc Adrien Charles Guy Marie de LÉVIS-MIREPOIX vit au château de Léran. Il reçoit de la part du conseil municipal de Mirepoix la demande d’un portrait du duc et maréchal éponyme, Gaston Pierre Charles de LÉVIS. Le 6 août 1867, une lettre de remerciements lui est adressée par le maire, Cyrille RIVES[12] : « J’ai l’honneur de vous accuser réception du portrait de feu Pierre Gaston de Lévis, duc de Mirepoix, maréchal de France. Interprète des sentiments du conseil municipal de la ville de Mirepoix, j’ai à cœur, Monsieur, de vous remercier de l’accueil aussi gracieux qu’empressé que vous avez bien voulu faire à sa demande. Personnellement, je suis heureux de vous annoncer que le portrait de votre ancêtre est depuis quelques jours placé dans la salle du conseil où il rappellera le souvenir de l’homme éminent qui fut une des gloires de son illustre famille et de son pays. »[13]

Le portrait de Gaston Pierre Charles de LÉVIS, duc de Mirepoix et maréchal de France, est toujours accroché en la salle du conseil municipal, où il fait face à celui de Bertrand CLAUZEL, baron et comte d’Empire, maréchal de France, non loin de celui de Louis Baptiste PONS-TANDE, maire de Mirepoix, député de l’Ariège et ardent républicain. Chacun de ces trois personnages historiques est représentatif d’une période de l’Histoire de France, de l’histoire de Mirepoix et du Languedoc.

Ne sont-ils que dissemblables ou bien ont-ils au contraire quelques points communs ?… Deux d’entre eux sont orphelins très jeunes, deux d’entre eux font leurs études au lycée Louis-le-Grand, deux d’entre eux reçoivent la Légion d’Honneur, deux d’entre eux sont députés, deux d’entre eux ont travaillé à l’amélioration de races ovines, deux d’entre eux ont été propriétaires de Terride, chacun d’eux fait un mariage d’amour, tous trois mettent leurs ardentes convictions au service de leur pays et de leurs contemporains … Deux portraits ont été peints par une femme …

Martine ROUCHE,

Guide conférencier.


[1] Van Loo (J-B.), Louis XV, roi de France et de Navarre, vers 1723, huile sur toile, 2,05 x 1,71 m. Versailles, musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 6942.

[2] Annuaire bulletin de la Société de l’Histoire de France, 1863, p. 85.

[3] Lagrange (F.),  Signes du pouvoir militaire : de l’épée de connétable au bâton de maréchal, in Bulletin du centre de recherche du château de Versailles, 2007. www.journals.openedition.org.

[4] Fr.wikipedia.org, « Maréchal de France ».

[5]  Ici présenté comme « Pierre Louis Gaston », le duc de Lévis avait reçu les quatre prénoms de Gaston Pierre Charles Louis. Les archives utilisent les prénoms « Gaston Pierre Charles ».

[6] AD09, Mirepoix, paroisse de Saint-Aulin, 1NUM5/5MI666, BMS 1634-1756, vues 32 et 33/ 242. Transcription conforme à l’original.

[7] Astruc (F.) et Sabatier (J.), Notice sur le fauteuil de Molière, Pézénas, 1836, p. 25.

[8] AD34, Montpellier, 5Mi 1/29, paroisse Notre-Dame des Tables, sépultures 1748-1761, vue 293/392.

[9] AD34, R17571024 (1), cote C7511, États du Languedoc.

[10] Archives privées. Orthographe conforme aux originaux.

[11]  Pour plus d’informations sur la carrière de Gaston Pierre Charles de Lévis : Pasquier (F.), Inventaire des documents de la branche Lévis-Mirepoix, Privat, 1909, p. 580-641 ; Martin (G.), Histoire et généalogie de la maison de Lévis, Lyon, 2007, p. 44-59.

[12] Cyrille Rives, adjoint d’Hector Manent, lui succède le 12 juin 1867, quand celui-ci est nommé juge de paix.

[13] AD09, 312EDT/D42, Délibérations municipales, non folioté.