→ La cloche de l’église Saint-Pierre-aux-liens
Le 20 mai 1882,le maître maçon Henri LABATUT établit un devis pour des travaux à l’église de Saint-Aulin, devis approuvé par le maire Louis PONS-TANDE, puis par le Préfet de l’Ariège.
Il s’agit de « la construction d’un pilier en maçonnerie et pierre de taille en forme de tourelle, devant servir de clocher et de contrefort au mur Levant de l’église du hameau de Saint-Olin [sic] ». Il est précisé que la corniche sera en pierre de taille, 30 cm d’épaisseur, avec pierre des carrières de Labastide de Bousignac, Lagarde ou Camon. Il est prévu la structure en fer pour suspendre la cloche1, structure toujours existante.
À l’occasion du chantier de travaux entrepris à l’église, notamment sur le mur Est, il est apparu que le haut de la tourelle était envahi d’herbes et de ronces et que la cloche avait besoin d’être nettoyée. L’échafaudage installé a permis d’ôter la végétation déjà luxuriante et d’observer la cloche en détail.

→ Description
Elle porte la date de 1886, ainsi que le nom des fabriciens à l’initiative de son installation. Il s’agit de J. BIART, L. ANDRIEU, F. GUORGUES, B. PEYROT et L. ASTOURY. Le curé du temps est François CROUX, dont le nom figure également.
A l’épaule de la cloche, moulée dans la masse, une phrase en latin invoque Marie et décrit le rôle de la cloche : « MARIA SINE LABE CONCEPTA ORA PRO NOBIS TEMPESTATEM FUGO POPULUM VOCO LUCTUM PLORO ». « Marie conçue sans péché prie pour nous je fais fuir la tempête j’appelle le peuple je pleure les morts ». L’absence de dédicace à Saint Pierre-aux-liens, saint patron de l’église, donne à penser que les fabriciens ont acheté cette cloche déjà moulée à la fonderie, sans passer une commande particulière pour leur église. La petite commune de Saint-Aulin et la fabrique ayant eu, au fil des siècles, des faibles moyens financiers pour les travaux et l’entretien nécessaires pour l’église, l’achat de la cloche déjà fondue leur coûte moins cher qu’une commande.
Sur une cloche déjà moulée avec ses décorations et la phrase latine d’invocation et de description de sa fonction, les fabriciens ont seulement fait graver leurs noms, celui du prêtre, la date et les noms de « Jeanne GOUZE et Jacques SIÉ à Saint-Aulin », donateurs. Il n’y a pas de marque de fondeur, mais il est possible d’envisager que cette cloche sortait de la fonderie Barnabé MARTIN et frères, à Foix. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, ces fondeurs ont fourni, entre autres, les cloches de Vèbres, Tréziers, Norgeat-Miglos, Vicdessos, La Bastide de Lordat, et, dans l’Aude, celles d’Ajac et de Saissac.
La cloche est fixée par quatre anses et possède deux battants, donnant chacun un son différent. Elle ne sonne plus : comme elle est fixée à cette structure en fer au sommet du pilier plein en forme de tourelle, les cordes étaient déviées et pénétraient en biais dans le fond de la nef par deux petites ouvertures. Elles ont dû s’user et ont disparu.
→ Fabriciens ou marguilliers et conseil de fabrique
Par le passé, le conseil de fabrique était un petit groupe de laïcs, membres de la paroisse, qui gérait l’administration de l’église et du culte sur le plan temporel. Les fabriciens avaient la responsabilité de certains travaux de réparation, de certains achats : ils pouvaient commander un tableau ou une cloche, mais devaient aussi s’assurer que les linges sacerdotaux étaient en bon état et que cierges et bougies étaient en quantités suffisantes. Les conseils de fabriques ont été supprimés par la loi du 9 décembre 1905, qui sépare l’Église et l’État. Ils sont remplacés par des associations privées de paroissiens. Les fabriciens, ou marguilliers, avaient pour première fonction de tenir le registre (ou matricule) des pauvres de la paroisse auxquels il fallait verser des aumônes.
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1. AD09, 2O999.
→ Sous l’enduit, des peintures …
Le chantier de restauration entrepris récemment par la commune à l’église Saint-Pierre-aux-liens de Saint-Aulin a mis au jour un décor peint aux teintes douces, bleu pastel, ocre rouge et jaune d’or, longtemps caché sous un enduit désormais en mauvais état.
Peint au XIXe siècle, ce décor couvre la face entière du mur-pignon oriental et se présente en triptyque. Quatre colonnes lisses, peintes en faux-marbre, à chapiteau ionique orné de volutes de couleur jaune d’or, rythment l’ensemble. Le panneau central ne conserve pas de vestiges de décor peint : il devait recevoir un tableau, peut-être celui qui est actuellement accroché derrière le maître-autel. Les panneaux latéraux ont conservé une partie de leur décor, bien abîmé par les encoches destinées à faire tenir l’enduit, mais lisible.

Dans le panneau latéral gauche, un médaillon ovale est entouré d’un cadre présenté comme un cuir, motif ornemental découpé et enroulé en spirale stylisée. L’ensemble est entouré de deux palmes. Dans l’iconographie religieuse traditionnelle, la palme est l’attribut des martyrs. Pour le XIXe, elle peut être aussi symbole d’un honneur ou d’un hommage rendu. Le motif central est une forme oblongue, marron, peu identifiable. Il pourrait s’agir d’un sac de farine, puisque les boulangers avaient pour patron de leur confrérie Saint Pierre-aux-liens, avant de changer pour Saint Honoré.

Le panneau de droite, construit de façon symétrique, donne à voir un médaillon dont le motif central est heureusement lisible. On reconnaît les clés croisées de Saint Pierre, tenues par un ruban joliment noué, apposées sur une ancre de marine. Ce symbole du christianisme primitif, souvent gravé sur des tombes romaines, accompagné de poissons, est devenu le symbole de l’espérance, ou celui des trois vertus théologales : foi, espérance et charité.
→ Hypothèse d’attribution
Dans l‘historique de l’église de Saint-Aulin, les travaux abondent. Le18 janvier 1832,Dominique PETITPIED, trésorier de l’église de Saint-Aulin, déclare avoir reçu d’Antoine Benoît VIGAROZY, maire de Mirepoix, la somme de 42 francs « pour ouvrages de son art exécutés à la dite église. » Comme son père François, Dominique PETITPIED était « gippier », c’est à dire, plâtrier. Peut-être les pierres étaient-elles apparentes ?
Soixante-dix ans plus tard, en 1902-1903, l’architecte E. DEBAT fils dresse trois planspour les travaux de réparation de la charpente. L’entrepreneur est Joachim SAINT-FELIX de Mirepoix.
Il est prévu des démolitions et une reconstruction pour le toit, ainsi que la maçonnerie de moellons, « crépis au bouclier en mortier de chaux hydraulique, y compris repiquage du mur ». On peut en déduire que le crépi dégradé qui vient d’être enlevé est celui appliqué au début du XXe siècle, après piquage des murs, sans tenir compte des peintures décoratives, sûrement dégradées aussi.
Il semble séduisant et plausible d’attribuer le registre décoratif retrouvé à Dominique PETITPIED, et ce, à double titre : trésorier de l’église et « gippier », c’est à dire, plâtrier, il avait à la fois les compétences pour travailler le plâtre, mais aussi pour peindre et orner un mur. Concerné par l’église et la paroisse, il avait forcément à cœur d’en améliorer l’aspect en peignant un décor architecturé, en utilisant la technique du faux-marbre, pour mettre en valeur le tableau du maître-autel et des médaillons dont la symbolique claire soulignait le patronage de saint Pierre pour les paroissiens de Saint-Aulin.
Martine ROUCHE
Guide conférencier