La peste (1629-1631), la suette (1782) et le choléra (1854)

La peste à Lagarde, Mirepoix et Besset

En Pays de Mirepoix, l’épidémie de peste qui ravage la France de 1629 à 1631 fait sa première victime à Lagarde le 24 juillet 1629.1 « décéda mouillot  sommellier de monsieur qui mourut de la peste dans le chasteau de la garde de laage de 50 ans ou environ. »

Sept autres victimes de l’épidémie sont notées dans le registre entre juillet 1629 et juillet 1631 un soldat du château, la fille et l’épouse du portier, un chirurgien et une jeune femme et sa fille. La maladie est nommée « peste » ou « danger ». Pour les deux dernières victimes, mention est faite de « cabanes » et de « corbeaux » : les cabanes sont des huttes sommaires assemblées loin des villages, tout le monde étant conscient que la proximité des malades est un danger. Seuls les « corbeaux » vont visiter, baptiser et ensevelir les occupants des cabanes. Ce nom est donné aux médecins vêtus de longs habits de cuir noir, qui portent un masque à long nez, empli de vinaigre et d’épices censés les protéger de la peste. Ils ne touchent les malades qu’avec un long bâton, appelé « canne de saint Roch ». L’invention de ce costume est attribuée à Charles de l’ORME (1584-1678), successivement médecin des rois Henri IV, Louis XIII et Louis XIV.

Habit des médecins en temps de peste, à partir de 1619)

À Mirepoix, la peste passe entre le 2 août 1629 et le 5 mai 1630.2 Le vicaire Amat note, pour la première victime : « Le second jour dudit mois d’aoust [1629] est décédé Jean Benet marchand. Fust trouvé attaint de la maladie fust ensepvely au pred. » Le « pré » est le champ éloigné où sont établies des cabanes où logent les malades, à l’écart de la ville, et où sont enterrés les morts de la peste, dans une fosse commune, sous de la chaux vive.

Le vicaire AMAT survit à la maladie et écrit : « Le mal cessa grâce à dieu dans la ville le premier janvier et Barato qui décéda ce jour est le dernier dans la ville. » Il rajoute dans la marge : « La peste cessa dans la ville le 1er janvier 1630. » Il établit ensuite la liste des morts de la peste pour les « fauxbourgs » à partir de février 1629, sans préciser davantage (« al barry del Capitoul et Sautadou », « al barry del Bortdeau », « al barry de St Amans »). Il considère la ville de Mirepoix comme débarrassée de la peste le 5 mai 1630 : « Le cinq de may [1630] avons ensepvely un enfant de peyre de pouroutounat mort de la bonne maladie grâce à dieu. »

La peste a fait 268 victimes à Mirepoix, sans distinction : enfants et adultes de tous âges, brassiers, serviteurs, artisans, consuls, chanoines, nobles, parfois quatre ou cinq membres de la même famille en quelques heures. En août 1629, Mathieu PORINGAT, corbeau, sa femme et ses trois enfants meurent au pré … Le dévouement et les épices n’ont pas suffi. À part la mention marginale du 1er janvier 1630, le vicaire AMAT n’utilise jamais le mot « peste ». Il écrit une fois « la maladie », et ne se sert plus que des mots « au pred », sous-entendant mais ne disant pas. Le mot fait peur et l’écrire pourrait aggraver la situation, dans la mentalité collective.

À Besset, la peste débute le 19 novembre 1629 : « Rolle des mors de la cabane depuis le 19 nobambre 1629 decobete la contegion. »3

Selon cette page du registre, douze morts sont attribuées à la peste, ou plus exactement à la « contagion », puisque la peste n’est jamais nommée. Faute de connaître le nombre d’habitants cette année – là, il est impossible de donner un pourcentage de morts de la peste par rapport à la population. On ne peut qu’émettre des hypothèses, en comparant avec d’autres communes frappées par la même épidémie, avec cette réserve que le vicaire ou le chanoine, parfois submergé par des décès nombreux et rapprochés, a pu ne pas tenir le registre de façon stricte.

En quelques lignes, trois mots de vocabulaire associés aux épidémies sont utilisés : contagion, cabane et corbeaux. Même un aussi petit village que Besset au XVIIe siècle, frappé par la peste,  adopte dès le premier cas les pratiques et les mots usités : dès que la « contagion » arrive, les personnes malades sont éloignées et mises dans une « cabane », et les médecins requis ou volontaires revêtent la tenue noire et le masque à long nez leur donnant la silhouette de grands « corbeaux ».

À Besset, trois familles sont frappées par la maladie : les PONS, les SABY et les CASSAGNE. Peu de renseignements d’ordre social se retirent de la page des décès, mais la famille PONS, dont Pierre, jeune père est bayle, fait partie d’une catégorie sociale sûrement modeste, mais légèrement supérieure toutefois à la moyenne des habitants de Besset, puisqu’ils ont un serviteur, Bernard RESTOLH (ou RESTOUIL).

Il intervient deux fois pour ses maîtres : il baptise le 26 novembre 1629 l’enfant dont Jeanne ARNAUD, épouse de Pierre PONS, est enceinte et veille certainement jusqu’au dernier moment la jeune femme et cet enfant dont on ne sait pas s’il est né ou pas, s’il survit ou pas ; il enterre ensuite le jeune chef de famille, mort quelques semaines après son épouse et peut–être leur bébé.

La suette ou fièvre miliaire ou fièvre pourprée

Cette maladie d’origine mystérieuse a disparu d’Europe depuis le XXe siècle. Elle surgissait autrefois par vagues épidémiques et se manifestait par de la fièvre, des rougeurs et une éruption cutanée de petits boutons en forme de grains de mil. Souvent mortelle, elle se répand en 1782 dans Mirepoix et les alentours et les registres des B. M. S. en gardent la trace.

À Teilhet, le vicaire DUPRED enterre 7 personnes en deux jours, entre le 28 avril et le 1er mai 1782. Ce jour-là, il ajoute : « Tous les susdits sont morts de la maladie épidémique. »4 Les actes de décès suivants, pour la même année, précisent toujours que les personnes vomissent, ont de la fièvre, perdent connaissance et meurent rapidement. On peut en déduire que la suette a encore fait des victimes dans le village.

Le registre des décès est tenu à Mirepoix par le vicaire MAILHOL, qui note le début et la fin de la maladie.5 Le 1er mai 1782, il écrit dans la marge : « La fièvre Milliaire ou Pourprée a comencé aujourd’hui Ses Ravages. » La 2e victime est la Sœur Françoise Maÿssent, 32 ans 7 mois, au service des pauvres de l’hôpital de Mirepoix.

Fin 1782, le vicaire MAILHOL écrit : « En cette année 1782 il y a eu de morts 97 desquels par la Suette 21. Soit pour notte qu’en cette année il ÿ a eu dans la ville et le diocèse de Mirepoix une Maladie Epidemique nommée Suette La Parroisse de Mirepoix en a Souffert comme Suit : Malades 792 Morts 21. Et tout le diocèse de Mirepoix a Eu Malades 2584 Morts 474. C’est au reste le diocèse Temporel duquel Seul j’ai pu prendre notte comme dessus. Mailhol Sacristain vicaire général »

Début de l’épidémie de suette, ou fièvre miliaire, ou fièvre pourprée, à Mirepoix, 1782.
Acte de sépulture de la Sœur Françoise Maÿssent, religieuse de l’hôpital de Mirepoix, le 1er mai 1782.
Récapitulatif des 97 morts de Mirepoix, en 1782, dont 21 de la suette.)

Demeurée mystérieuse dans son apparition comme dans sa disparition, la suette était pourtant connue sous plusieurs noms au XVIIIe siècle, et était surtout immédiatement identifiée dès les premières victimes d’une communauté.

Le choléra

De 1853 à 1855, le choléra touche surtout la Haute Ariège, mais aussi Mirepoix, Laroque d’Olmes et les villages environnants. Cette maladie foudroyante est causée par une bactérie qui se trouve dans les eaux et aliments souillés. Les malades se déshydratent rapidement (diarrhées et vomissements) et peuvent mourir.

Le registre des décès qui couvre la période 1853-1864 montre que chaque année, à Mirepoix, le nombre des morts se situe autour de la centaine. En revanche, ce nombre monte à 240 en 1854, dont 133 attribués au choléra. De même, à Laroque d’Olmes, le nombre annuel des décès, entre 1853 et 1859, oscille entre 35 et 66. Mais il monte à 92 pour l’année 1854, l’épidémie ayant commencé à la fin de 1853 et s’étant terminée courant 1855.

À Mirepoix et Laroque d’Olmes, un étudiant en médecine se dévoue sans compter pendant l’épidémie, prodiguant conseils et soins de réhydratation, jusqu’à faire progressivement reculer la maladie. Le 20 mai 1854, le Conseil municipal de Laroque adresse à Charles Louis Eustache CHABAUD, « étudiant en médecine de Mirepoix », une lettre de félicitations et de remerciements. De 1852 à 1855, sans avoir terminé ses études, il assistait déjà son père, médecin également. Peut-être la ville de Laroque manquait-elle de praticiens ? C’est sans doute seul que Charles Louis Eustache CHABAUD s’est rendu à Laroque, puisque la lettre de remerciements de la municipalité lui est adressée à titre personnel.

Le 7 mars 1855, le Conseil municipal de Mirepoix adresse l’expression de sa reconnaissance aux médecins qui ont courageusement lutté contre le choléra, dont « MM. BARRIÈRE, CHABAUD et RIVES, Docteurs Médecins ».6 Il s’agit là de médecins établis, dont Charles CHABAUD, père de Charles Louis Eustache.

La colonne, érigée au cimetière en 1883, à la mort de ce dernier, conserve le souvenir de l’« Hommage de la reconnaissance de ses concitoyens » à la famille CHABAUD dont plusieurs membres furent médecins.

Base de l’obélisque érigé en l’honneur de la famille Chabaud)

Saisissant raccourci spatial et temporel : si l’on se tient face à cette colonne, la Maison de santé se trouve dans le champ visuel, en arrière-plan … Toutes les maladies ne sont pas éradiquées, loin s’en faut, mais les terribles épidémies des siècles passés, peste, suette ou choléra, redoutées parce que non contrôlables en l’état des connaissances de leur temps, ont bien heureusement disparu.

Martine ROUCHE,

Guide conférencier

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  1. AD09, Lagarde, 140EDT/GG1 (1609-1660), vue 12/70.
  2. AD09, Mirepoix, 1NUM5/5MI622 (1625 – 1639), vue 63/141.
  3. AD09, Besset, 1NUM/265EDT/GG1 (1618-1714), vue 16 & ff/
  4. AD09, Teilhet, 1NUM/35EDT/GG3 (1774-1791), vue 23/50.
  5. AD09, Mirepoix, 1NUM4/5MI665 (1779-1787) vue 445 & ff/580.
  6. Marmion Alain, Lettres aux Chabaud à Mirepoix (1795-1883), Paris, 2009, p. 306 & ff.