Dans le résumé de son article, Daniel LELOUP, architecte DPLG et maître de conférences d’histoire de l’architecture à l’Université Rennes 2, fait une étude analogique entre les galeries couvertes de quelques bastides du sud-ouest, dont Mirepoix, et celles de certaines villes de Bretagne et Normandie.
« …/… Les « couverts » de Mirepoix illustrent parfaitement la tradition médiévale de l’utilisation des matériaux locaux pour la construction de l’habitat urbain. Réalisée à moindre coût, à partir de forêts de proximité et d’argile extraite sur place, cette architecture a longtemps été considérée comme mineure, car elle ne met en œuvre aucun matériau noble comme la pierre ou le marbre. Maisons vernaculaires reflétant les us et coutumes d’une région, les « couverts » de Mirepoix, témoins de la créativité des ateliers locaux, n’abritent pas pour autant un mode de vie isolé ou marginal. En effet, de nombreuses bastides du sud-ouest possèdent des maisons à porche du même type…/… »
◊ Aux origines de la ville
Dans le plan orthogonal décidé à la suite de l’inondation de juin 1289, il est prévu l’espace fédérateur de la place centrale, l’emplacement de l’église, des moulons rectangulaires, et un réseau de rues dont les largeurs ont été plus ou moins respectées.
Selon Gratien LEBLANC, la bastide de Mirepoix devait correspondre à un carré de 400 m de côté, compris entre la rue Caramain (nord) et la rue du Capitoul (sud), le cours du maréchal de Mirepoix (ouest) et la rue Frédéric Soulié (est). Comme dans la plupart des bastides de ce type, l’église se dresse à l’un des angles de la place, communiquant avec elle par la diagonale.
Progressivement, mais assez vite, les quatre rues qui entourent la place changent d’aspect et se transforment en « Couverts », justement, permettant ainsi à la circulation de s’effectuer, mais aussi aux propriétaires d’augmenter leur habitat, en faisant reposer les maisons qui bordent la place sur des piliers de chêne ou de résineux. C’est le principe de l’encorbellement, poussé à l’extrême, c’est aussi un moyen de se loger mieux sans augmenter la taxe foncière.
Selon les bastides, le terme désignant ces rues à ciel fermé varie : on rencontre les mots « couvertes », « garlandes », « embans », « auvents », « cornières », ou … « couverts ».
Les études les plus récentes, sans être terminées, permettent de mieux dater l’archéologie urbaine de Mirepoix, et en particulier d’établir une datation plus précise pour ce qui est des Couverts, de leur structure et des pans de bois.
◊ Datation des Couverts
La datation des Couverts est depuis longtemps objet d’études, d’hypothèses et d’une petite légende dorée … XIVe siècle ? XVe ? XVIe, même ? Ou alors XIIIe ?… Cette galerie couverte qui ceint la place centrale de Mirepoix attire visiteurs et touristes, et charme toujours autant les habitants. Il est donc logique de vouloir en savoir plus sur cet élément important du patrimoine.
La plus grande partie de cette galerie couverte date certainement du XIVe siècle, c’est-à-dire que le principe du Couvert est venu assez vite après le début de la construction de la ville. La Maison des Consuls, pour sa part, pourrait avoir bénéficié plus tôt de ses étages avancés en encorbellement, posés sur piliers. Les autres maisons de ce qui est désormais le Grand Couvert se seraient rapidement alignées jusqu’à couvrir la rue principale et à fixer l’aspect du côté nord de la place.
Les Couverts n’ont actuellement gardé que deux angles ou « cornières », la partie sud ayant disparu dans l’incendie allumé par Jean PETIT et sa bande de routiers, en 1362. De la ceinture initiale complète, il reste les galeries du Grand Couvert, du Couvert Servant à l’est et du Couvert Saint-Antoine ou Barbès à l’ouest. Le Petit Couvert, ancienne Galerie astronome Vidal, se retrouve incomplet à l’angle sud-est.
Que reste-t-il vraiment de la galerie couverte initiale de 140 mètres en longueur développée ? La Guerre de Cent ans, les routiers à la fin du XIVe siècle, les feux accidentels, tous ces événements ont forcément modifié le bâti des Couverts et des maisons de la place. Une lecture attentive des façades au-dessus des Couverts et de la structure de ces mêmes Couverts montre les réparations, modifications, réfections, changements, qui n’ont toutefois pas détruit l’unité harmonieuse de la galerie couverte qui ceint la place.
La grande place initialement installée au cœur de la bastide de Mirepoix perd ses perspectives et la ligne diagonale symbolique établie entre le pouvoir spirituel de l’église, puis de la cathédrale, et le pouvoir temporel de la maison-forte, lorsque trois moulons sont ajoutés au centre, formant le Couvert du Midi, vers la fin du XIVe siècle. Seuls les deux moulons extérieurs de ce groupe ont conservé leur galerie couverte, le moulon central ayant été remplacé par la halle du XIXe siècle. Il s’appelait « Couvert des mesures », laissant ainsi penser qu’il avait lui aussi une galerie couverte.
Selon les fiches d’inventaire, 49 maisons dites « les Couverts » ont été inscrites sur la liste supplémentaire des Monuments Historiques, pour leur « galerie », le 26 juin 1929.
◊ Structure, matériaux et décor
Les Couverts, à quelques centimètres près, ont tous une largeur égale de 6,50 m. Leur hauteur varie de 2,50 m (Galerie Vidal) à 3,10 m (Couverts Saint-Antoine, Servant et Midi), à 4,30 m (Grand Couvert). Le Couvert du Midi, devant la mairie, devrait sa hauteur (supérieure à celle du Grand Couvert) à la vanité de Me RABINEL-CALZAN, receveur des tailles, quand il fit rebâtir ce moulon pour en faire sa demeure familiale vers 1760, écrit Gratien LEBLANC …
On note des disparités dans les piliers de support des Couverts, mais leur rythme régulier, tous les 3,70 m, renforce l’impression d’harmonie et de cohérence. A chaque maison correspond une arche entre deux piliers. Seules la Maison des Consuls et la maison Vigarozy sont précédées de trois arches chacune.
Les historiens et architectes ont longtemps admis que le chêne avait été utilisé pour les bois verticaux ou biais (aisseliers) et les poutres monumentales, pour sa solidité, et le sapin pour les bois horizontaux, pour sa résilience. L’étude menée par Laurent GIROUSSE et les prélèvements dendrochronologiques permettent d’affiner cette classification : par exemple, le monumental poitrail d’un seul tenant qui soutient la Maison des Consuls est un cœur de sapin et non de chêne.
Seule la galerie qui précède la Maison des Consuls a reçu un décor spectaculaire sous la forme de cent figures sculptées en quatre rangées horizontales de vingt-cinq chacune. Des quatre figures complémentaires apposées sur les piliers, du côté de la place, seules trois sont préservées : la quatrième ne reste que sous forme de deux pattes animales, la tête a disparu. Les autres piliers et aisseliers qui constituent les Couverts et soutiennent les maisons bordant la place ont aussi reçu un décor, variable d’une maison à l’autre, modeste mais néanmoins intéressant.
Plusieurs aisseliers présentent un décor sculpté avec gorges et tores, créant ainsi une mouluration gothique. Les abouts ou extrémités des solives horizontales portent encore la trace de l’outil du charpentier et se terminent en doucines, en talons droits ou renversés, jusqu’à donner à voir des mufles d’animaux, se rapprochant ainsi des figures sculptées de la Maison des Consuls.
« Mirepoix
…/… J’aime sous les Couverts entourant la grand’place
la maison consulaire où la poutre grimace
et brave les autans. »
Marie-Louise PRUDENT
Avec la précieuse collaboration
de Martine ROUCHE, guide conférencier.
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Sources : Leblanc (G.), La « Bastide » de Mirepoix, Paris, Société française d’archéologie, 1973.
Leblanc (G.), La « Maison des consuls » de Mirepoix, Ariège, Toulouse, Imprimerie Cleder, 1974.
Leloup (D.), De bois et de terre : « les couverts » de Mirepoix, 126e congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Toulouse, 2001, Carrières et constructions IV, p. 205-217.
Girousse (L.), Les maisons à pans de bois de Mirepoix, Masters I et II, Université Jean-Jaurès, Toulouse, 2016 et 2018, sous la direction de Nelly Pousthomis.
Prudent (M.), Mirepoix, notice historique, 1976.